Une lettre innombrable

« Une lettre innombrable » de Jean Firmann – extrait

Je t’enlace je t’enlace je t’enlace je t’étreins je t’étreins je t’étreins je te serre je te serre je te serre et tes côtes éclatent et tu meurs et ton cœur et ton sang ne sont plus qu’un amour de sang et je te mange pour que tu vives les yeux les yeux les yeux et ce front courant et cette nuque confluent nu du crâne affluent nu du torse et des épaules nuque nue mon gong d’où se répercutent en cercles vers toi les sons tendus venus du ventre et de la tête qui se rejoignent à ce point de nuque et base assiette du cerveau je t’aime je t’aime je t’aime mon orage ma brute mon orgue ma rafale putain mon amour du rouge du sel et de la mort ma salope d’or et de neige ma méduse ma baveuse mon gouffre ma gifle mon aurore mon piano qui décolle dans mes reins mon jour qui se lève tes tempes tes yeux tes oreilles tes lèvres tes seins tes côtes ton ventre tes fesses tes genoux la paume de ma main tes paupières mes poignets ta saccade mon dedans je t’enlace je t’enlace je t’enlace je t’étreins je t’étreins je t’étreins ma course mon échelle ma soie mon satin ma vulgaire ma saignante mon urine mon fjord de Norvège et tu m’arraches à la peau flamboyante de l’eau ma fenêtre ouverte sur la mer mon océan creusé de tout le temps de l’homme ma prune ma baiseuse mon oiseau ma machine ma lampe sur le front pour descendre en hiver ma maîtresse ma noix de l’œil mon enfant mon herbe coupée mon rasoir ma luzerne ma pluie de terre sur la terre ma brassée entière de blé noir mon odeur d’huître mon cuivre mon ventre bleu mon drap de cendres et de libellules ma foudre ma griffeuse ma morsure de jouissance ma queue mon cul ma comète ma frayeur ma rocheuse mon avalanche mon serpent qui fuse de blancheur mon haut-plateau de pierres je te serre je te serre je te serre le muscle de ta cuisse est gonflé contre ma cuisse et ma main se casse dans tes reins et mes lèvres s’écrasent sur ta bouche et nos langues font lentement le tour du monde le tour de la terre qui tourne dans le vide dans le vide dans le vide dans le vide tu me soulèves ma bourrasque ma rouée vive mon tournoiement de sable mon torrent de lumière ma gobeuse mon trou mon vide ma glande mon petit doigt mon épieu d’ivoire et de dent de loutre marine ma musique du vent ma lèvre mon lac d’eau tiède et claire mon bain dans la lumière forte mon épaule mon algue ma route ma ceinture mon coup de pied dans le ventre ma paupière intarissable ma folle ma roulotte mon bar ma tisane de poivre mon bateau dans les bronches ma blanche mon anus de menthe et d’annulaire mon tronc planté dedans la terre ma langue de tamanoir ma chatte ma baleine ma caresse ma vague ma neige mon éclipse de mer mon éclipse de mer mon éclipse de mer ma musique de striptease mon cocktail vert et bleu ma bombe silencieuse du courage ma colère mon repos mon savon sur tout le corps je cherche je cherche je cherche ta marque ta marque ta marque ta racine à l’orée fine de ton sexe à ton tympan du ventre à ton tambour battant à ton vagin qu’on dit mais c’est front rouge du dedans tu crois tu gonfles tu gonfles tu gonfles tu montes en moi ton souffle fou de fleuve tu me crèves de l’intérieur les paupières dans tes larmes de joie il y a le muscle du cristal dans notre fièvre les mille colonnes du mercure dans notre douceur le ventre blanc et chaud et palpitant fragile des lièvres dans ton sexe il y a la lave qui va faire un tour violent du côté de Pompéi pour pétrifier superbe une tranche d’histoire histoire d’éclairer un peu de ses jaillissements immenses la nuit racornie de l’homme histoire de plaquer le feu de sa brûlure au flanc glacé de la montagne dans ton sexe il y a mille anneaux tendres de Saturne et tu scintilles dans mes reins dans ton sexe il y a une licorne du poivre qui gonfle un pont pour la colère une méduse du rouge qui dégorge le sable de la mort tu m’enlaces tu m’enlaces tu m’enlaces tu me débordes dans le feu je te dis immense je te dis vigueur tes vagues soulèvent et respirent lentement le lit trempé de la boussole qui centre son amplitude sur le temps de la vie qui monte dans l’arbre de tes yeux que tu vois dans mes yeux et plus loin mes yeux dans tes yeux de mes yeux et je force le ciel et la terre a un souffle au cœur tu rêves tu rêves tu rêves mais tu es debout campée vive sur ton lit tu rêves que la lumière prend source dans ton ventre et tu fuses tout ton feu vers le soleil…

 

Du texte à la bande dessinée, puis du dessin à la musique : un rendez-vous en deux étapes. Comme dans un jeu de billard à trois bandes, la dessinatrice Aude Barrio transforme en récit visuel Une lettre innombrable, long poème sans ponctuation du poète genevois Jean Firmann. Puis à leur tour, à 18h, les cinq musiciens de l’Ensemble Batida rebondissent sur les images pour inventer une partition musicale. Le premier temps dure une demi-journée, le deuxième une soirée. Ecriture littéraire, graphique et sonore main dans la main.

Les artistes

Jean Firmann
portrait_firmann JPGpoète. Formation littéraire. Ancien journaliste à la radio suisse romande. Editeur
sauvage. Photographe de buissons ardents. Auteur de textes fauves. Poète de rue, pratiquant
l’action intempestive. Auteur notamment du «Cahier noir», de «Bons sens interdit», de
«Déclaration de terre», de la «Revue de la tempresse», de «Tatoudou Tatambo», de «L’escalier
du coeur». Nombreuses créations et lectures accompagné de musiciens improvisateurs.
Chroniques lyriques régulières dans le «Viva la Musica» et le «Journal des Bains». Artisan de
l’éblouissement. Partisan têtu de la beauté du monde. Soudeur & peintre en lettres ainsi que
fantassin aux Eaux-Vives.

Aude Barrio
En 2004, Aude Barrio participe à la fondation de la maison d’édition genevoise Hécatombe. Elle
étudie aux Beaux-Arts (HEAD à Genève) en Peinture-Dessin. Elle se partage entre réalisation
de bandes dessinées, d’affiches et de projets collectifs. Elle édite son premier ouvrage solo en
2014 « Petit Lapiin Chouin Chouiiin ». Elle travaille également régulièrement avec l’Ensemble
Batida.
Parallèlement, Aude Barrio s’intéresse à la musique expérimentale, joue dans plusieurs
formations musicales dont le « Tratado de Cardew », ensemble qui a interprété, pendant un an,
des extraits de la fameuse partition graphique « Treatise » de Cornélius Cardew. Cette aventure
marquera le point de départ d’une série d’expérimentations et de recherches autour de la
partition graphique – autant dessinée qu’interprétée musicalement.
La librairie Cumulus
Depuis 2015, la librairie a été reprise par l’Association Forever, qui organise des événements
régulièrement : dédicaces, expositions, concerts et lectures. Elle a pour mission de faire vivre
l’endroit dans ses particularités architecturales – notamment sa voûte – et son format de poche
qui donne au lieu son côté intimiste. Il tient à cœur aux responsables de la librairie de mettre en
avant le côté expérimental de ses activités, dans la mesure où Cumulus se veut un espace de
création et d’échange avec le milieu culturel alternatif : fanzines, micro-édition et publications
indépendantes trouvent leur place sur les rayons de la librairie.
L'Ensemble Batida
est un collectif de cinq musiciens, percussionnistes et pianistes, avides
d’exploration. De projet en projet, les imaginaires qu’ils créent mêlent la force acoustique des
instruments percussifs au spectre sonore élargi des musiques électroniques. Ils fréquentent tant
la musique contemporaine écrite que l’improvisation, produisent des concerts ou des objets
scéniques transdisciplinaires, et ne se donnent que peu de limites dans leurs expérimentations.
Batida travaille depuis neuf ans ensemble et a acquis une grande pratique de l’improvisation
collective. Le groupe a utilisé différents medias et supports visuels pour guider ces
improvisations : films projetés (abstraits ou concrets), danse improvisée, improvisation musicale
totale dans des contextes d’exposition (BD, dessin) ou partitions graphiques (dessins abstraits,
plans d’architecture, photos ou autres). Ils ont notamment collaboré avec les dessinateurs du
collectif Hécatombe (Aude Barrio, Barbara Meuli, Thomas Perrodin, Yannis La Macchia et
Antoine Fischer) et Alex Baladi.